1 Mars 2015
La sentence a été lourde : Sept ans de prison ferme et 250 milliards de francs Cfa d’amende avec interdiction de droits civiques et confiscation de tous ses biens. C’est ce qui constitue la peine de Karim Wade pour s’être «illicitement enrichi». Ironie du destin ! Karim est incarcéré dans la maison d’arrêt où son père a séjourné plusieurs fois, bien souvent pour troubles à l’ordre public au lendemain de scrutins présidentiels controversés, en 1988 et en 1993.
A 47 ans, Karim Wade, en détention préventive depuis avril 2013, est accusé d’avoir illégalement acquis 117 milliards de francs CFA par le biais de montages financiers complexes du temps où il était conseiller puis ministre de son père, entre 2000 et 2012.
Karim Wade, dans l’ombre de son père
Avant mars 2000, jour où Abdoulaye Wade, l’opposant historique d’Abdou Diouf a accédé à la magistrature suprême, son fils était méconnu de la société sénégalaise. Depuis ce jour là, Karim Wade a, de ses 1,90m, envahi la scène politique sénégalaise, au point où son ambition pour le fauteuil présidentiel a vite mûri.
A part le goût pour le pouvoir que Karim partage avec son père, Wade fils se différencie nettement de Wade père. A la différence de son père abonné aux geôles de son pays dans les années 1980 et 1990, Karim n’a jamais supporté l’idée de la prison ! La personnalité d’Abdoulaye Wade connue pour sa verve et sa réactivité accrue tranche avec celle de Karim Wade, taciturne et grand timide, donnant l’impression d’être constamment sur la réserve.
Si on le dit «gentil, affable et généreux», le fils du président reste insaisissable pour la plupart des Sénégalais qui ne savent pas grand-chose de sa vie.
Né à Paris, Karim débarque à Dakar avec ses parents à l’âge de deux ans. Il retourne en France après son brevet, en 1984, puis intègre l’internat de l’École Saint-Martin-de-France, avant de rejoindre la Sorbonne. Il en sort muni d’une Maîtrise en Gestion et un Diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en ingénierie financière.
Après l’obtention de ce diplôme, il met ses compétences au service de USB Warburg, une banque à la City de Londres pour laquelle il négocie des contrats miniers et pétroliers en Angola, au Congo-Brazzaville et en Afrique du Sud.
Sa longue résidence hors de son pays d’origine rebute les Sénégalais qui le surnomment le «toubab» (le blanc), à cause de son wolof (dialecte sénégalais) approximatif et de son teint métissé.«Si Karim veut être président, il doit parler le wolof», titrait à la une L'Idéal, un journal populaire.
Une situation qui a sans doute amené le fils du président à affirmer sa «sénégalité». Il affectionne ainsi les grands boubous brodés, et aime fréquenter les lieux musulmans. Karim ira jusqu’à prendre une épouse sénégalaise, après le décès de sa femme d'origine française, en avril 2009, une épouse avec qui il a eu trois filles.
Après la victoire de son père au second tour de l’élection présidentielle, le 19 mars 2000, il fait des allers et retours entre Londres et Dakar avant de s’installer définitivement au Sénégal, en 2002.
Sur décision de son père, il devient conseiller personnel du chef de l’Etat, une fonction directement rattachée au Secrétariat général de la présidence de la République chargé de la mise en œuvre de Grands projets. Le 7 juin 2004, Karim gravit un échelon et est nommé par décret président de l’Agence nationale de l’organisation de la Conférence islamique (ANOCI), avec pour mission de préparer et d'organiser le onzième sommet de l'OCI qui s’est tenu, en mars 2008 à Dakar en présence des responsables de 57 pays musulmans.
Pour le président Wade, il était question d'attirer les investisseurs arabes. Son fils se charge des négociations des contrats, voyage et devient l'interlocuteur privilégié des pays du Moyen-Orient. En 2006, «le prince sénégalais» crée avec Abdoulaye Baldé, l'association «Génération du concret» visant à assurer l'adhésion populaire aux grands chantiers du moment tels que «l’ Aéroport international Blaise Diagne» prévu à Diass, la restructuration des Industries chimiques du Sénégal (ICS) ou la mise en place d'une zone économique spéciale intégrée dans la capitale, dont il était le principal gestionnaire.
Petit à petit, l’association se muera en un nouveau mouvement politique. Karim Wade y voit une opportunité de s’en servir pour emprunter la voie qui conduit au sommet de l’Etat. Cependant, les travaux de l’ANOCI prennent du retard et l'opacité de leur gestion n'est pas du goût du président de l'Assemblée nationale, Macky Sall, qui demande des explications à Karim Wade et le convoque en octobre 2007. La convocation est aussitôt annulée par Abdoulaye Wade.
Le 1er mai 2009, Karim Wade entre dans le gouvernement du Sénégal comme ministre d'État, ministre de la Coopération internationale, de l'Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures. Le 5 octobre 2010, il est nommé ministre de l'Énergie par son père, en remplacement de Samuel Sarr, qui occupait ce poste depuis 3 ans.
L’ascendance politique de Karim Wade n’est pas du goût de certains dont le journaliste Abdou Latif Coulibaly et l'ancien ministre Amath Dansokho qui l'accusent d'affairisme et de détournements de fonds publics. Dès lors, les procès en diffamation se sont succédés.
Sur les pas de son père à la prison de Rebeuss
La fortune de Karim Wade, évaluée à 700 milliards de francs CFA, intrigue la justice sénégalaise qui ouvre un procès. Après une audition par la commission d'instruction de la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI) demandant à Karim de justifier dans un délai d'un mois ses avoirs ainsi que ses biens (voitures, propriétés immobilières), il est inculpé d'«enrichissement illicite», et enfermé avec sept autres personnes à la prison de Rebeuss, à Dakar.
La justice n’est pas convaincue des justifications de Karim Wade qui assume et soutient avec attestations à l'appui, que ses biens étaient pour la plupart , des dons de son père
Son procès est célèbre pour avoir été le plus long de l'histoire judiciaire du Sénégal. Le 17 février 2015, il est condamné à 7 ans de prison par la Cour de répression de l'enrichissement illicite (CREI). Le réquisitoire a été prononcé en l'absence du «toubab» et de ses avocats qui n'assistaient plus aux audiences de la CREI depuis la mi-janvier, dénonçant une atteinte à leurs droits…