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Bukavu : la mendicité des personnes âgées fait honte à la société

Créé le 11-11-2011 à 00 h00 | AFRIQUE REDACTION | REDACTEUR EN CHEF : ROGER BONGOS | SITE PANAFRICAIN |   ACTUALITE NATIONALE, AFRICAINE ET INTERNATIONALE | Mis à jour le jeudi 11-11-2011 à 11H00| AFRIQUEREDACTION PAR : SYFIA  GRANDS LACS 

 


A Bukavu, à l'est de la RD Congo, de plus en plus de personnes âgées, surtout des femmes, mendient. Retraites insuffisantes ou inexistantes, absence de soutien familial, désintérêt des Ong et de l'État, les responsabilités semblent partagées. Reportage dans les rues de la ville. En cette journée internationale des personnes âgées, sous un soleil accablant, devant une entreprise de Bukavu, elles sont plus de cent vieilles à faire l’aumône en file indienne, immobiles. Chacune reçoit 0,2 kg de sel, une boîte d’allumettes, 100 Fc (0,1 $). Pour Mme Christine, caissière dans cette société, officieusement chargée de la distribution, le défilé peut aller jusqu’à plus de cent personnes chaque jour. "Leur nombre ne fait qu'augmenter. Dans d'autres magasins, le scénario est le même." À 20 mètres de là, effectivement, une entreprise spécialisée en produits de beauté, donne 0,3 kg de riz et du savon aux vieilles et aux vieux. Au total, ils sont près de 200 personnes...
 À Bukavu, ces cohortes de vieux mendiants semblent ne susciter aucune curiosité, hormis celle des étrangers. "Je devrais crever de faim, alors qu’il y a la charité africaine ?", s'insurge une sexagénaire qui a fait 30 km pour rejoindre le centre-ville. Visiblement éreintée, pieds nus, les cheveux en bataille, elle explique : "Je m'occupe de trois orphelines. D’habitude, je descends en ville à partir de 8h jusqu’à 16 h. Selon la grâce divine, on me donne, par jour, entre 1 000 et 1 500 Fc (entre 1,1 et 1,6 $)." Non loin de là, deux autres sexagénaires, également pieds nus et exténuées, viennent d'un bidonville situé à 40 km du centre de Bukavu. La première raconte : "Cela fait cinq ans que je suis dans la rue. Je vis chez mon fils chômeur, avec sa femme et ses huit enfants. Entre moi et sa famille, il penche pour sa famille…" La deuxième affirme avoir à sa charge cinq orphelins : "Ces enfants n’ont rien ou presque à se mettre sous la dent et ils doivent aussi étudier. Nous voulons renoncer à mendier, c'est une honte. Mais, nous devons trouver une alternative, avoir un champ ou faire un petit commerce. Où trouver un fonds de démarrage ?"

 Mendiants incompris
 Bon nombre d'habitants de la ville ne comprennent pas ces mendiants. À l'image de cette vendeuse de goyaves, elle aussi dans la soixantaine, qui blâme le comportement de ses contemporaines qui, pour elle, se rendent elles-mêmes vulnérables dans une société compétitive et dynamique, indifférente à leur calvaire. Et d’ajouter que le pire, selon elle, est que certains vieillards sont poussés par leurs progénitures avides de faire des économies. À 60 km de Bukavu, deux vieilles occupées à ramasser des bûchettes sont du même avis. Pour Maria M’wa Ndahulira, "chaque humain marche avec son âme à la main", ce qui signifie que bien que démunie, jamais elle ne mendiera. Selon Maria M’wa Hélène, mieux vaut monnayer de menus services, à ses voisins : chercher de l’eau, garder leur nouveau-né : "Quand votre progéniture vous balance dans les oubliettes, c’est la seule façon de survivre, pour d’autres vieillards !"
 D'autres sont plus conciliants avec les mendiants. "Après tout, ces vieillards sont nos mamans. Elles ont travaillé pour ce pays !", insiste Mme Shamamba Masika, chef du bureau des personnes du troisième âge à la division des affaires sociales. Elle poursuit : "Cela fait 37 ans que je suis dans les services de l’État et deux ans dans ce bureau. Depuis 2002, je n’ai jamais entendu parler d'un budget ou d'une subvention pour les vieillards. Dans certaines organisations internationales, j’ai soumis quelques projets, mais ces dernières m’ont signifié que ces personnes ne faisaient pas partie de la catégorie des vulnérables. Elle ajoute, je crois qu'il faut aussi améliorer la sécurité à l'intérieur de nos villages et payer les pensionnés."
 Le directeur provincial de l’Institut national de sécurité sociale (INSS), M. Nderany explique : "Nous assistons les personnes qui ont épargné chez nous quand elles travaillaient. Nous avons aussi des actions sociales ponctuelles, parfois dirigées vers les personnes du troisième âge. Ne tenez donc pas l'INSS pour responsable du calvaire de ces gens !" Dans la société civile, d'autres acteurs se mobilisent. Au bureau de la plate forme Wazee Wetu ("Nos vieillards") on a ainsi écrit, en gros caractères : "Protéger une personne du troisième âge, c’est protéger la sagesse mondiale !" Le directeur chargé de programme, Freddy Wilondja, détaille la philosophie de sa structure : "Nous assistons les vieillards dans le domaine médical et juridique. Nous en accompagnons également certains dans l’agriculture ou dans la culture, pour capitaliser leurs savoirs. En 2010, nous avons eu plus de 14 000 vieillards, dont 9 000 femmes. Et cette année, ils sont déjà plus de 17 000… Nous avons demandé au gouvernement de construire des hospices et de sécuriser les villages."

 "Obligation morale"
 "Dommage que la vieillesse soit assimilée à la misère et à une charge familiale", déplore Joseph Kakongwe, 78 ans et 11 enfants, membre de Wazee Wetu. Il poursuit : "Il y a des épouses et des époux qui s’insurgent contre la présence de leurs grands-parents sous leurs toits. Quand la situation familiale devient morose, ces vieillards sont taxés de charge familiale, de porte-malheur, voire même de sorciers !" Pour Mme Wilhelmine Ntakebuka, coordinatrice de l’association Village cobaye qui encadre des femmes vulnérables, les familles pauvres doivent malgré tout aider leurs grands-parents. "Chez nous, nous avons une vieille, et elle se porte bien !, confie fièrement Didier Maroyi, 17 ans, élève, avant de conclure, certains enfants devraient éviter de maltraiter les vieillards. Après tout, nous sommes tous sommes appelés à vieillir !"
 John Ngaboyeka, sociologue, enseignant à l'université, explique la mendicité des personnes âgées par une mauvaise politique salariale. Selon lui, même les personnes qui sont encore valides peinent à joindre les deux bouts du mois. Les retraités ne touchent qu'une somme modique, et d’autres, qui n’ont pas travaillé comme salariés, sont dépendants de leur progéniture. "Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait…, martèle Antoine Bishweka, historien et bibliothécaire. La vieillesse a l’expérience pour éclairer la jeunesse. Les enfants qui n’assistent pas leurs grands-parents font preuve d'ingratitude". Le psychologue Pierre Busime insiste sur le comportement de certains anciens qui, séniles, agissent comme des enfants : "L'enfant a besoin d’être soutenu en tout et pour tout.".
 Le législateur congolais se limite à l’article 49 de la Constitution, stipulant que "la personne du troisième âge et la personne avec handicap ont droit à des mesures spécifiques de protection en rapport avec leurs besoins physiques, intellectuels et moraux", souligne la juriste, Julienne Mushagalusa, membre de l’Association des femmes juristes du Congo. Selon elle, le législateur devrait arrêter une loi uniquement pour les vieillards et proposer des mesures d’applications concrètes pour leur bien-être. Elle conclut : "Bien qu’il n'y ait pas de contrainte juridique, l’obligation morale nous oblige à prendre soin, dans la limite de nos moyens, de nos grands-parents."

 Deogratias Cikuru

 

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