16 Décembre 2009
AFRIQUE REDACTION | SOCIETE | RDC | MERCREDI 16-12-2009 | 17H20
Les troupes envoyées par l’autorité centrale, nous dit-on, contrôlent à nouveau Dongo. Fort bien ! Acceptons-en l’augure…En effet, on n’a ni détruit, ni désarmé une rébellion, simplement parce qu’on l’a dispersée dans la nature. Surtout quand il s’agit d’un mouvement local et que, dans cette nature, les gens sont « chez eux ».
Les chiffres concernant les pertes, prisonniers, désertions de part et d’autre sont extrêmement vagues, pour ne pas dire inexistants. Le seul chiffre un peu précis qui ait été cité a été celui d’une quarantaine de rebelles prisonniers. Ils ne représentent certainement pas le gros des forces rebelles. Quant aux chiffres (également nimbés de flou artistique) des morts et des blessés, ils ne donnent en rien l’impression que certains affrontements auraient tourné à l’extermination. Quand des combattants ne sont ni morts ni prisonniers, il reste une seule supposition : ils ont rejoint l’ombre propice des frondaisons et pris le maquis. Il n’est même pas exclu que quelque rusé gaillard ait disparu en armes dans la forêt, pour reparaître plus loin en « civil inoffensif » après avoir enterré ses armes en vue de « la prochaine ».
Il est donc fort possible que les cris victorieux poussés à Kinshasa reposent sur une « destruction » des bandes rebelles du même acabit que la « destruction » des FDLR par « Umoja Wetu ». Plus grave, même, car dans l’Equateur les gens sont vraiment sur leur propre terroir ancestral qu’ils connaissent à fond.
Il s’avère en effet que le conflit ethnique dont on a fait état au début des troubles de Dongo (un affrontement entre Enyele et Boba pour le monopole de la pêche dans une série d’étangs) a bien eu lieu et qu’il a été le détonateur d’une explosion qui a mis en jeu des forces plus importantes, mais encore mal définies.
Il est toujours bon, en matière africaine, de prendre avec des pincettes la facile explication « ethnico/tribale ». Suivant une formule inventée au « joyeux temps des colonies » mais dont l’exploitation a été gaillardement reprise par les gouvernements africains, l’ethnisme est une explication qui dispense précisément d’expliquer, en renvoyant implicitement à la « sauvagerie », par définition irrationnelle. On l’invoque donc souvent pour éviter de donner l’explication d’un mécontentement car la logique de celui-ci pourrait inspirer au public des réactions de compréhension, de soutien ou de solidarité. Cette explication est de plus d’un emploi merveilleusement aisé : en dehors des grandes villes, les populations sont encore assez homogènes et un incident se produit donc toujours « chez les Ba-kwa-chose » ou « dans les parages des Bana-machin ».
Il se fait que ledit « conflit des pêcheries », qui dure depuis des générations – et qui doit donc être habituellement d’assez basse intensité, provoquant plus de coups de gueule que de coups de fusil – a servi de catalyseur à la conjonction de plusieurs facteurs et les a fait détonner.
Le plus ancien remonte aux années ’90 et c’est tout simplement la peur. Dès que le régime Mobutu se mit à vaciller, toute la province craignit collectivement un « retour de manivelle » qui allait leur faire payer à tous les privilèges scandaleux qui avaient été ceux de quelques uns. La peur provoque des comportements grégaires et des replis identitaires parce que l’on recherche la protection du groupe. Et ce groupe, au Congo, est presque toujours régional et ethnique. Cela se doublait, durant la décadence et la chute du Maréchal, d’une dimension de clientélisme social : rechercher la protection des originaires qui avaient été des puissant du régime en perte de vitesse, protection que l’on était d’ailleurs fondé à réclamer en vertu de cette même appartenance régionale ou ethnique. Cela comprenait un certain nombre de magnats fonciers et financiers, et beaucoup de membres des forces armées et des services de sécurité.
A défaut de disposer d’une analyse fine et serrée de toutes les nominations effectuées sous Laurent Kabila, il est difficile de dire si la mainmise katangaise dont on taxe son régime est une réalité ou une fiction. Mais il est certain qu’il fut ressenti comme tel. Et en général, en tous cas, les « bonnes places » pour être distribuées, même de la façon la plus équitable, à d’autres régions et ethnies, furent prises à des titulaires qui, sous Mobutu, étaient souvent Ngbandi, Ngbaka… et en tous cas de l’Equateur.
Si l’on peut s’interroger sur le bien-fondé de l’accusation de « mainmise katangaise », il est par contre certain que l’Equateur, à le fois, perdit une bonne partie de ses hommes riches et se vit largement abandonné par le pouvoir central. On a publié à son de trompe que Joseph Kabila avait promis de réhabiliter l’hôpital de Gemena. On a très peu dit que, dans celui-ci, les malades dormaient à même le sol.
A cette peur d’être entraînés par la chute de Mobutu s’est ajoutée l’appréhension plus récente de subir des représailles parce que la province a fourni le gros des troupes du MLC et a voté pour Bemba et son parti. Après un moment de doute et d’espoir, où l’on a pu penser que le Congo s’adapterait à une situation normale en démocratie – que le pouvoir local puisse être détenu par ce qui, au niveau national, est l’Opposition – les choses fort curieuses qui se sont passées avec la destitution de Makila, l’intérim de Baende puis son élection ont plutôt montré de la part de l’AMP une volonté de ne laisser aucune miette à personne. Cela peut être perçu come une volonté de « ligoter » l’Equateur.
Parallèlement, ce même épisode a pu apparaître comme un échec de la direction du « MLC sans Bemba ». La transformation du groupe armé en parti politique ne s’est pas faite sans qu’apparaissent de nouvelles têtes « politiques » et sans que diminue le rôle d’un certain nombre de « gros bras » trop purement militaires. François Muamba s’est d’ailleurs vu menace par des messages de « militaires MLC » qui avaient un ton de « revanche ».
A côté de ces facteurs typiquement « équatoriens », d’autres interviennent qui sont communs à toutes les provinces et qui pourraient se résume en « ras-le-bol de Kinshasa, du gouvernement central et de leurs représentants ». Les représentants de l’autorité se manifestent en province avant tout par des tracasseries, des extorsions, quand ce n’est pas par des brutalités ou des atrocités. Et le rôle « bienfaisant » de cette autorité ne se montre guère. L’autorité n’étant pas sympathique, on lui reprochera aussi, souvent, d’être représentée par des « non-originaires ». Ce n’est pas si idiot qu’il peut paraître. Puisque l’homme envoyé par l’autorité est malhonnête, corrompu et incompétent, pourquoi ne pas mettre à sa place un type tout aussi malhonnête, tout aussi corrompu et tout aussi incompétent, mis qui soit au moins du village. De cette façon, l’argent y resterait !
Enfin, comme le Congo plonge de plus en plus bas dans une misère sans cesse croissante, il n’est pas étonnant que des querelles de plus en plus âpres aient lieu autour des ressources alimentaires encore disponibles. Par temps de famine, on tue pour un plat de haricots ! Donc, la querelle autour des fameux « étangs poissonneux », même si elle est ancienne, ne pouvait que devenir plus acerbe par les temps qui courent.
La poudrière étant ainsi prête, l’étincelle qui la ferait sauter pouvait être petite. Dans une information transmise sur « l’Internet congolais » par JP Mbelu, il se serait même agi d’un seul individu, un pêcheur Boba aussitôt pris à partie par de jeunes Enyele.
Les premiers horions donnés, la suite ressemble à une bagarre de cour de récréation sur le thème « mon papa, il est plus fort que ton papa ». Les rosseurs et les rossés appellent à la rescousse les amis musclés dont ils peuvent disposer. Il y a cependant une différence notable : tandis que les Enyele font appel à « leurs anciens » (mention, également de JP Mbelu, dont on ne sait cependant pas si elle désigne les dignitaires coutumiers ou le « féticheur », leader des jeunes Enyele, dont il a aussi été question), leurs adversaires, eux, appellent la police.
La police, c’est le pouvoir central, Kabila, l’AMP, les non-originaires… en un mot, c’est tout l’ensemble des facteurs cités ci-avant qui se met en branle.
On a commencé à avoir des doutes sérieux su la nature de ce qui se passait à Dongo quand se sont produits plusieurs faits qui semblaient s’accorder très mal avec un « incident ethnique » :
En fait, les armes lourdes, malgré leur nom, peuvent être portées par un fantassin à pied, mais sont capables de détruire une cible qui, elle, est lourde. Et, après dix ans de guerre où des armées diverses ont sillonné le Congo en tous sens, et souvent effectué des retraites précipitées en désordre en abandonnant derrière elles armes et matériel, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il existe de multiples caches d’armes enterrées dans la brousse, voire des dépôts clandestins. C’est encore plus valable en Equateur, en raison du sentiment d’être « mal aimés » qui y règne et du grand nombre d’anciens soldats ou officiers qui y vivent. Il n’y a pas besoin d’imaginer pour cela un « loup-garou », sous la forme d’un maquis bembiste, comme on semble le faire parfois à Kinshasa.
La facilité avec lesquelles des désertions se produisent s’explique en partie par le fait qu, dans un pays misérable, beaucoup de soldats le sont pour des raisons alimentaires, mais répugnent à aller au combat. Il y a aussi caractère « patchwork » des FARDC, où des soldats venant de diverses milices se retrouvent côté à côte, mais aussi peuvent se retrouver face à leurs anciens camarades, devenus « l’ennemi ». Il n’est pas étonnant que les ex-CNDP refusent de tirer sur les Rwandais, ou que les soldats de l’Equateur ne veuillent pas tirer sur leurs congénères ethniques, régionaux ou MLC. L’expression « ne pas tirer sur ses frères » doit vraiment être prise au pied de la lettre.
A partir de là, on s’est trouvé devant une double guerre, celle de armes se prolongeant par celle du papier et de l’Internet. Les deux camps ont rivalisé dans l’injure et l’amphigouri. Au rayon du comique, relevons du côté de Kinshasa la « reprise » e lieux ou de matériel qu’on avait nié avoir perdus, et du côté des « Patriotes » l’annonce d’une victoire à Libenge en un communiqué flamboyant, mais où aucun nom de lieu ou de personne n’était orthographié correctement, victoire qui, le lendemain, avait disparu de la chronologie des faits donné « officiellement » toujours sous la même signature de Lobala Mokobe
Du côté de Kinshasa, on a hésité entre la minimisation consistant à ne parler que d’un « incident tribal » même quand il était manifeste qu’à tout le moins les jeunes Enyele avaient été rejoints par d’autres combattants, dont il n’est pas difficile de devine qu’il étaient soit des anciens du MLC « militaire », soit de ex-FAZ, et les accusations contre des « politiciens en mal de positionnement », terme par lesquels les kabilistes désignent habituellement l’opposition et, en l’occurrence, le MLC. Cela peut tenir à une vraie « psychose du complot » mais aussi annoncer que Dongo va servir de prétexte à une chasse au MLC sous couleur de « lutte contre le terrorisme ».
Du côté des « patriotes » on a vu chez l’ennemi à peu près toutes les armées du monde, à part les Gardes Suisses du Vatican : Rwandais, Algériens, mercenaire blancs, etc… et l’afflux enthousiaste de « patriotes » rejoignant les rangs de la rébellion ne pouvait s’expliquer que si un véritable pont aérien de charters avait été affrété pour l’occasion. Etrange aussi, le fait que des documents datés de Dongo aient été mis sur Internet, si l’on considère que cette localité n’a pas l’électricité !
Pour corser encore l’affaire, il y a le fait que la diffusion des œuvres d’Ambroise Lobola Mokobe a été assurée par l’Apareco de Ngbanda. Ce milieu est célèbre pou sa diffusion d’intox mais il fallait aussi tenir compte qu’il est riche en originaires de l’Equateur, susceptibles donc d’avoir des informations de première main. Allez vous y retrouver !
A qui, finalement, tot cela va-t-il profiter ? C’est ce que se demande un autre commentateur de « l’Intenet congolais », Serge Gontcho.
« Qui a intérêt à ce qu'il y ait trouble à Dongo ? Beaucoup de gens.
1° La MONUC. Elle peut trouver là une raison de légitimer sa présence au Congo et prolonger sa villégiature
2° Le Rwanda. En détournant l'attention vers l'ouest, il peut continuer à voler, tuer des prêtres et des sœurs à l'ouest sans nécessairement faire la une des journaux.
3° Le MLC. En débandade sur le plan politique et militaire (?), il peut trouver là une fibre tribale pour se faire une nouvelle légitimité.
4° Les adeptes de la balkanisation du Congo. Dongo devenant un foyer de plus, après tout l'est, alors que pouvoir de Kinshasa est impuissant de restaurer la paix à l'est, chez les Mbororo, sans oublier les Angolais qui vont et viennent comme chez eux dans le Bas-Congo et le Bandundu. En multipliant les foyers de tension, la somalisation et la balkanisation sont en marche.
5° ... et qui sais-je encore ? »
Au 5°, il faut en tous cas certainement mentionner les « rhinocéros » de l’AMP, partisans d’une remise au pas de l’Equateur et adeptes d’une « démocratie » qui ressemble fort à un régime de parti unique qui ne dit pas son nom.
Attribuer purement et simplement les incidents de Dongo « au MLC » sans tenir compte des divisions interne qui y opposent les anciens « militaires » aux nouveaux « politiques » et en faire le prétexte d’une « chasse aux sorcières » (qui d’après certaines informations aurait déjà commencé), c’est s’assurer des lendemains qui déchantent, avec une rébellion sans doute plus dispersée que détruite.
Dès qu’un bruit de ce genre se met à courir, il devient difficile de démêler le vrai du faux, parce qu’il se crée aussitôt une catégorie de « ressortissants honoraires » qui permettent de gonfler chiffres et proportions. On se met à considérer qu’un homme qui n’est pas du groupe que l’on montre du doigt s’y rattache quand même parce que sa femme en est, que sa sœur ou sa fille en a épousé un membre. Et l’on va jusqu’à fouiller l’identité des « deuxièmes bureaux » ou à jeter la suspicion sur la légitimité d’une filiation.
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