10 Décembre 2009
Que se passe-t-il réellement à Dongo, localité congolaise de la province de l'Equateur, aux confins du nord-est du Congo-Brazzaville ?
Si l'on en croit les officiels, il y a eu des incidents intertribaux autour des étangs de poisson entre clans Enyele et Monzaya. Cycliques, laisse-t-on entendre, ces incidents remonteraient aux années 1940 ! Selon « Radio Okapi », dans ses journaux du 3 novembre 2009, «Les ressortissants de ces deux communautés se disputent régulièrement des étangs piscicoles poissonneux. Un conflit qui remonterait à 1946 et constitue le prétexte de l'insurrection actuelle ».
A en croire cependant un mouvement politique congolais domicilié à Paris et se présentant en « propriété privée (…) protégée par la législation française », il s'agit plutôt d'une rébellion levée contre le Pouvoir Kabila ! S'en faisant quasiment le point focal, ce mouvement a mis sur son site Internet un communiqué, daté du 13 novembre 2009, dans lequel le porte-parole de la « rébellion » déclare, citation : « Nous avons pris les armes pour nous défendre et défendre les nôtres, comme le prescrit la constitution à nous imposée par l'étranger. Mais si on croit que la force est la solution, alors le monde entier entendra encore parler de nous » ! Fin de citation.
Ce communiqué a la particularité d'être totalement muet sur les revendications ! Il ne spécifie nullement ce que les fameux « patriotes-résistants » défendent, ni contre qui ils le font, encore moins pour qui, puisque les « nôtres » ne sont pas clairement identifiés. D'un. De deux, ils s'appuient sur la prescription d'une Constitution « imposée par l'étranger » (sic), donc une Constitution qu'ils se doivent en toute logique rejeter, « congolité oblige ! ».
On est de plain-pied dans la confusion, l'incohérence, l'irrationnel. L'autre dirait le théâtral.
Dieu merci, au niveau des institutions nationales et provinciales, un consensus s'est déjà dégagé pour une gestion méthodique de la situation, gestion consistant à laisser la police faire son travail de rétablissement de l'ordre public ; quitte recourir à l'armée en cas d'accentuation de la dégradation. Et là, les « insurgés de Dongo » sont bien obligés de se rappeler que la même Constitution, « imposée de l'étranger », qui leur reconnaît le droit de se défendre et défendre les leurs reconnaît aussi au Peuple congolais et aux Institutions de la République des droits, tout en soumettant tout le monde à des obligations. Au nombre des uns et des autres, ces quelques articles :
La souveraineté nationale appartient au peuple. Tout pouvoir émane du peuple qui l'exerce directement par voie de référendum ou d'élections et indirectement par ses représentants. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.
Tous les Congolais ont droit à la paix et à la sécurité, tant sur le plan national qu'international. Aucun individu ou groupe d'individus ne peut utiliser une portion du territoire national comme base de départ d'activités subversives ou terroristes contre l'État congolais ou tout autre État.
Nul n'est censé ignorer la loi. Toute personne est tenue de respecter la Constitution et de se conformer aux lois de la République.
Tout Congolais a le droit et le devoir sacré de défendre le pays et son intégrité territoriale face à une menace ou à une agression extérieure. Un service militaire obligatoire peut être instauré dans les conditions fixées par la loi. Toute autorité nationale, provinciale, locale et coutumière a le devoir de sauvegarder l'unité de la République et l'intégrité de son territoire, sous peine de haute trahison.
Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d'individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l'exerce en violation des dispositions de la présente Constitution. Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l'État. Elle est punie conformément à la loi.
Le gras et le soulignement sont de l'auteur.
Les pièges se succèdent…
S'agissant spécifiquement du Président de la République, l'article 69 de la Constitution dispose que « Le Président de la République est le Chef de l'État. Il représente la nation et il est le symbole de l'unité nationale. Il veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des Institutions ainsi que la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et accords internationaux ».
Dès lors que l'intégrité du territoire est menacée à partir de Dongo – pour autant qu'il y ait effectivement rébellion – Joseph Kabila réagirait conformément à la Constitution, imposée de l'étranger ou non ! Après tout, Bemba ou Tshisekedi, Nzuzi wa Mbombo ou Ruberwa, Lumbala ou Kiakwama, Muamba ou Ne Muanda Nsemi à la tête du pays ne ferait pas autrement.
En quoi alors Dongo se révèle un vrai piège pour le leadership de l'Equateur ?
Le point de départ est, sans doute, les incidents intertribaux. C'est une évidence. Ce qui signifie que la tribu s'estimant combattue ou battue va forcément, par instinct de conservation, chercher à se sécuriser auprès du Pouvoir contre lequel s'oppose la tribu s'autoproclamant « rebelle ». En l'espèce, le clan Monzaya se jetterait dans les bras du Pouvoir pour que soit maté le clan Enyele !
Et, par effet d'entraînement, tout acteur politique – comme le chef de la propriété privée domiciliée à Paris et jouissant de la protection de la législation française - ou tout activiste de la Société civile qui prendrait fait et cause pour la tribu « rebelle » serait d'office affiché « anti-tribu combattue ou battue » ! Premier piège.
Il y a lieu, ici, de distinguer d'emblée les affrontements intertribaux ou interethniques survenant au Grand Kivu de ceux de Dongo. A l'Est, il y a la donne « raciale » et la donne « sous-régionale ». Dans la donne raciale, il y a les Bantu (Hutu) et les Nilotiques (Tutsi). Dans la donne « sous-régionale », il y a la présence des uns et des autres en RDC, en Ouganda, au Rwanda et au Burundi. C'est en cela que l'implication de la communauté internationale s'explique.
Or, dans les affrontements de Dongo – à l'instar de ceux qui surviennent cycliquement dans le Grand-Kasaï – il n'y a ni donne raciale, ni donne sous-régionale. L'implication de la communauté internationale est possible, mais pas avec le même poids qu'à l'Est. En clair, c'est une affaire « congolo-congolaise ».
L'ennui est que cette affaire survient dans un contexte politique où la démocratie fait ses premiers pas ; des pas en voie de consolidation. La remise en cause de ce processus – si tel est l'objectif de la « rébellion » - a peu trop peu de chances d'aboutir aux résultats escomptés, entendez la prise ou le partage du pouvoir. On ne voit pas comment, au moment où les groupes armés de l'Est sont en voie de se muter en partis politiques, une rébellion qui partirait de l'Ouest (par exemple de Dongo) ou du Centre serait encouragée à poursuivre son aventure !
Bien plus, pour la province de l'Equateur - dont est originaire Jean-Pierre Bemba jusque-là « chef de file » de l'Opposition puisqu'étant le président en exercice du plus grand parti de cette entité, en l'occurrence le Mlc – toute rébellion qui partirait de ses terres serait assimilée au rejet du jeu démocratique ! Quand, en plus, cette rébellion obtient le soutien de certains Mobutistes et de certains Bembistes, ça renvoie tout à la 2ème République, et ça réduit le mouvement à une revanche des vaincus du 17 mai 1997 ! Qu'on ne le perde pas de vue : le Mlc avait été perçu à sa création, dans la foulée de la guerre du 2 août 1998, en une organisation des Mobutistes vaincus !
La « rébellion » tribale de Dongo serait apparentée à une organisation des Mobutistes et Bembistes vaincus ; ce qui ne serait pas, d'une manière ou d'une autre, sans effet sur le procèsde Chairman à la Cpi. Deuxième piège.
Mais, déjà, elle pourrait être perçue par d'aucuns comme un rejet du Pouvoir actuel assimilé, selon un certain discours, au Pouvoir de l'Est. C'est un mauvais précédent quand on sait que le Pouvoir Mobutu fut, de son temps, assimilé à l'Ouest en général, à l'Equateur en particulier.
Dans cette logique, on ne sera pas étonné demain – une fois le Pouvoir redevient de l'Ouest par le jeu d'alternance démocratique – qu'une nouvelle rébellion se lève à l'Est, juste pour se venger de « Dongo ». Et ce sera le cycle infernal qui ne s'arrêtera qu'avec la balkanisation du pays. Et même dans cette perspective-là, ce ne serait pas la solution idoine pour la bonne et simple raison que dans chaque Etat réel ou virtuel, il y a toujours un Est qui s'oppose à un Ouest, sinon un Nord à un Sud !
L'Equateur a son Est et son Ouest, en plus de son Nord et de son Sud.
Comprenne qui pourra…C'est le troisième piège.
Par voie de conséquence, il n'y a rien, à proprement parler, de patriotique dans la « guerre » de Dongo. Par contre, s'il y a résistance – comme semble le promouvoir le mouvement protégé à Paris par la législation française - c'est plutôt à l'ordre démocratique en cours ! C'est tout !
Tireurs de ficelle…
L'Equateur – qui a énormément souffert du Mobutisme (hélas !, c'est l'évidence même) – ne mérite pas de passer pour la province réfractaire à ce nouvel ordre. Autant dans sa classe politique que dans sa société civile, il aligne de ressources humaines réellement engagées dans la voie démocratique. De ce fait, il est évident qu'à l'instar de toutes les autres provinces du pays, il a des forces résiduelles qui croient encore au retour au monopartisme d'Etat ou à tout ce qui ressemblerait à la dictature mobutienne.
Or, cette époque est révolue. Bien révolue.
Dans ce contexte, la « rébellion » de Dongo a trop peu de chances de survie ; voire aucune.
Si elle a des revendications à faire, elle connaît la voie à suivre. A défaut de se constituer en parti politique, elle a ses élus siégeant à l'Assemblée provinciale de l'Equateur et au Parlement (Assemblée nationale et Sénat) à Kinshasa.
Qu'elles portent sur les étangs de poisson ou sur les droits de l'homme, ces revendications ne peuvent être légitimées que lorsqu'elles s'expriment au travers des mécanismes démocratiques auprès des interlocuteurs légitimes et légaux, en l'occurrence les Pouvoirs publiques habilités à les recevoir, à les traiter et à répondre.
En prenant, les premiers, l'initiative d'approcher le Gouvernement, les leaders de l'Equateur présents dans les institutions nationales et provinciales font preuve de sagesse. C'est à leur honneur.
Ils rendraient toutefois un grand service à l'Etat et à la Nation en évitant que le piège de Dongo ne se referme sur eux. Simplement parce que des tireurs des ficelles opérant dans l'ombre croient tenir le bon bout alors que, en réalité, ils sont à bout d'arguments.
Omer Nsongo die Lema
CONGO MON AMOUR