15 Décembre 2009
Devant l'hôtel Plaza San Francisco sur l'Alameda à Santiago, les quelques partisans d'Eduardo Frei essayaient dimanche soir de faire du bruit avec quelques tambours. À l'intérieur, les membres de l'équipe de campagne tentaient de mettre l'accent sur la masse des Chiliens qui n'avait pas voté Pinera, le candidat de droite, mais ils semblaient avoir du mal eux-mêmes à croire à leur argumentation.
La Concertation, la coalition qui regroupe les démocrates-chrétiens et les socialistes, au pouvoir depuis le départ de Pinochet, vient effet de vivre la pire déroute depuis la chute du dictateur. Avec 29,62% des voix, Eduardo Frei souffre d'un retard de près d'un million de suffrages sur son rival du second tour, Sebastian Pinera, qui a obtenu 44,05%.
L'intervention du sénateur Jorge Pizarro, coordinateur de la campagne de Frei, ne masquait pas les difficultés qui s'annonçaient pour le second tour le 17 janvier : «Le second tour, nous allons le gagner vote par vote, avec les 55% (de Chiliens) qui sont pour un Chili libre et démocratique.»
À quelques centaines de mètres de là, sur la même avenue, mais cette fois devant le Crowne Plaza, les partisans de Pinera dansaient sur des airs de salsa dans une ambiance euphorique. «Nous partageons avec Marco Enriquez-Ominami (MEO) et tous ceux qui l'ont appuyé son diagnostic d'une Concertation épuisée», clamait le chef de l'alliance de droite sous une pluie de confettis. Pour gagner le second tour, il lui faudra capter une partie des voix du candidat dissident de la Concertation que tout le monde appelle MEO.
Jeune producteur de télévision, ayant passé son enfance en France, ce qui lui donne une diction en espagnol particulière, Marco Enriquez-Ominami n'a pas donné de consigne de vote au second tour, jetant la consternation dans l'équipe de Frei. Les analystes politiques estiment qu'au moins un tiers des 20,12% d'électeurs de MEO seraient prêts à voter Pinera. Si Pinera a fait campagne sur le changement, le succès de la candidature de MEO montre le désir de nouveauté des électeurs de la Concertation que la candidature d'Eduardo Frei, déjà président entre 1995 et 2000, ne pouvait incarner.
Les Chiliens désignaient aussi lundi leurs sénateurs et parlementaires. Mais le très complexe mode de scrutin - binominal à un tour -, ne permet pas de refléter les évolutions de l'opinion. Ainsi la Concertation a récupéré la majorité absolue au Sénat et l'Alliance a gagné la majorité relative à l'Assemblée. «Il n'est pas surprenant que, après vingt ans de pouvoir la coalition s'essouffle électoralement, explique Renée Fregosi de l'Institut des Amériques. La candidature de Frei étant la plus mauvaise possible, cela a ouvert la voie à deux candidatures dissidentes, le fringant MEO et le vieux lion Arrate» qui a obtenu 6,21% de voix avec l'appui du Parti communiste.
Cette victoire possible de la droite au Chili pourrait influer les équilibres politiques et stratégiques en Amérique latine et les relations avec ses voisins. Michelle Bachelet avait réussi à créer un climat de confiance avec son voisin bolivien Evo Morales. Des négociations semblent même avoir avancé sur l'accès à la mer de la Bolivie. Ce sujet empoisonne les relations entre les deux pays depuis la guerre du Pacifique ente 1879 et 1884. Le Chili avait alors annexé la région d'Antofagasta, privant La Paz d'accès à la mer et s'appropriant ainsi les riches réserves de cuivre qui feront sa richesse au XXe siècle.
D'autre part, l'élection de Pinera fournirait à Alvaro Uribe, le président colombien, qui selon toute attente devrait se présenter pour un troisième mandat au printemps prochain, un nouvel allié sur un continent où il se trouve très isolé depuis une dizaine d'années, les gouvernements se partageant entre la gauche modérée dont le représentant le plus influent est le président brésilien Lula et la gauche radicale - «bolivarienne »-, pilotée par Hugo Chavez.
Le chef de l'État vénézuélien pourrait utiliser ce retour au pouvoir de la droite au Chili comme un épouvantail en évoquant les sinistres années de la dictature, poussant son allié Evo Morales à durcir le ton avec son voisin. «La récente et brillante réélection d'Evo Morales à la tête de la Bolivie nous rassure, explique le sénateur Sergio Romero Pizzaro, conseiller diplomatique de l'équipe Pinera. Il est toujours plus facile de discuter avec un pouvoir qui a un large soutien de sa population.»
LE FIGARO