10 Décembre 2009
A la fin de l’été, quand le ministre français des Finances, Eric Woerth, avait révélé qu’il détenait une liste de 3000 noms de ressortissants hexagonaux possédant des comptes bancaires secrets en Suisse, beaucoup avaient pensé à un coup de bluff. Il ne pouvait s’agir que d’une méthode un peu grossière pour convaincre – par la peur – les Français qui disposaient de comptes à l’étranger, de rentrer dans le droit chemin et de recourir aux services de la toute nouvelle cellule de régularisation fiscale.
De son côté, Eric Woerth a toujours défendu l’existence de cette liste, nourrie, selon ses dires, par plusieurs sources. Et de fait, le quotidien français, Le Parisien, a révélé hier qu’une – petite – partie des informations contenues dans cette fameuse liste des 3000 noms aurait été volée à une banque étrangère sise à Genève, HSBC Private Bank (Suisse). Mieux: ces données sensibles auraient été dérobées par un ancien employé de l’établissement, un Franco-Italien de 38 ans, informaticien de profession et qui, depuis le début de l’année, aurait trouvé refuge sur la Côte d’Azur, sous la protection de la police française.
Employé sous surveillance
Après ces révélations, la direction genevoise de la banque HSBC s’est longuement réunie hier matin avant de se fendre d’un communiqué assez laconique. Elle y confirme notamment qu’un ex-employé s’est bien rendu coupable de vol de données concernant une dizaine de clients résidant en France entre la fin de l’année 2006 et le début de 2007.
De toute évidence, ces malversations n’ont pas passé inaperçues à l’époque puisque la police fédérale aurait été saisie de l’affaire avant d’être chargée de suivre le suspect pendant plusieurs mois en 2008. Dans le communiqué de la banque, on apprend encore que l’informaticien aurait finalement été présenté à un juge. C’est le Ministère public de la Confédération qui est en charge de ce dossier, bien que sa porte-parole, Jeanette Balmer, se refusait hier à tout commentaire concernant une affaire qui est encore en cours d’instruction. Une chose est sûre: à ce stade, le Parquet genevois n’a pas encore été sollicité, même si c’est un avocat genevois, Carlo Lombardini, qui représente les intérêts de la banque.
Reste une question: si l’ex-employé a bien été présenté à un juge suisse, comment a-t-il pu se réfugier en France et transmettre les données volées à une cellule d’enquête de Paris, après avoir tenté, selon Le Parisien, d’intéresser les autorités libanaises?
Quoi qu’il en soit, cette affaire participe à tendre un peu plus encore les relations entre Berne et Paris. On se souvient que si la Suisse a finalement été inscrite sur la liste des juridictions peu coopératives en matière fiscale au Sommet du G20 en 2008, elle doit principalement cette mauvaise fortune à l’activisme du président français Nicolas Sarkozy.
Hier, le ministre du Budget, Eric Woerth, tentait de ne pas jeter de l’huile sur le feu, démentant formellement que ses services aient pu acheter ces données volées. «Nous respectons tous les critères légaux, a-t-il dit, avant d’ajouter: nous recevons des informations et nous cherchons à les exploiter. La lutte contre la fraude fiscale nécessite de ne pas être naïf. J’engage les contribuables qui sont concernés par l’évasion fiscale à se manifester auprès de la cellule de régularisation avant le 31 décembre.»
Données volées irrecevables
Pour tirer cette affaire au clair, la banque HSBC a bien évidemment déposé une plainte et c’est dans le cadre de cette plainte que la Suisse a adressé une demande judiciaire à la France. Berne aurait demandé la restitution des données volées. En vain pour l’instant.
Même si ces données sont déclarées recevables – les autorités françaises n’ont le droit d’exploiter que des données acquises légalement et sans contrepartie – le préjudice pourrait tout de même être limité pour HSBC Private Bank (Suisse). Selon les dires de la banque, moins d’une dizaine de ses clients «français» seraient concernés par cette affaire. Se pourrait-il néanmoins que la liste volée comporte des clients de plusieurs nationalités, la rendant dès lors intéressante pour d’autres fiscs étrangers? Contacté par la Tribune de Genève, Pascal Dubey, porte-parole de la banque, excluait hier cette hypothèse: «Il ne s’agit que de cette petite dizaine de clients et rien d’autre.»
Avec la collaboration de Fedele Mendicino
Paris poursuit l’offensive
D’où la France tient-elle les 3000 noms concernant des évadés fiscaux français en Suisse?
Outre l’éventuelle dizaine de noms volés à la banque HSBC Private Bank à Genève, une partie de l’information viendrait de banques sises en France, mais qui disposent également de racines en Suisse.
Quand Paris révéla ces sources, il fut précisé que les banques actives en France avaient obligation de notifier aux autorités certains transferts d’argent effectués vers l’étranger.
Depuis, le gouvernement français imagine soumettre ces mêmes banques à des obligations supplémentaires. C’est en ce sens qu’un décret sera publié en janvier prochain, qui précisera les devoirs des banques dans ce domaine. Il leur sera notamment notifié les montants des transferts à partir desquels elles devront accroître leur vigilance, mais surtout la liste des pays considérés par la France comme des paradis fiscaux.
Formellement, la Suisse n’est plus considérée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comme une juridiction insuffisamment coopérative sur le plan fiscal. Or, Paris s’aligne sur les critères de l’OCDE.
Mais la France se réserve aussi le droit d’inscrire à nouveau le nom de la Suisse sur sa propre liste de paradis fiscaux si d’aventure Berne ne lui donnait pas satisfaction dans l’application de la nouvelle convention de double imposition signée entre les deux pays en 2009 et qui devrait entrer en vigueur en 2010.
(pyf)
«Antoine vit sous une nouvelle identité»
L’ex-informaticien employé chez HSBC Private Bank, à Genève, vivrait aujourd’hui dans un petit village entre Nice et Menton. Selon Me Patrick Rizzo, son avocat auprès du Barreau de Nice, le Franco-Italien de 38 ans «est un idéaliste qui veut lutter, par la transparence, contre la criminalité financière.» Don Quichotte ou voleur vengeur genre Toni Musulin?
D’Antoine, confie un enquêteur français, proche du dossier, «on ne sait pas grand-chose. Il s’agit d’un garçon fragile, un peu paumé, brillant en informatique et déçu par sa hiérarchie qui ne lui aurait pas prêté suffisamment d’attention.» Selon Le Parisien, il aurait été marié, aurait divorcé et n’aurait pas d’enfant. L’homme serait aujourd’hui sous protection permanente par la gendarmerie française, craignant pour sa vie de la part de clients figurant sur la fameuse liste dérobée. Parallèlement, le procureur de Nice, Eric de Montgolfier, s’est également saisi des informations livrées par Antoine et a ouvert, cet été, une instruction pour blanchiment d’argent.
Selon Me Rizzo, «Antoine a obtenu de nouveaux papiers et possède une nouvelle identité. Tout cela coûte cher, certes, mais cela ne veut pas dire que les autorités françaises aient acheté ces données.» Toute la question – sur le plan légal – est évidemment là. Car, selon la loi française, des informations achetées à des tiers n’ont aucune valeur. Contrairement à l’Allemagne et à sa taupe informatique de la banque liechtensteinoise de la famille princière LGT.
Liste à 4,2 millions d’euros
En 2006, on s’en souvient, un certain Heinrich Kieber a fait trembler les riches Allemands, mais également de grands groupes français et des milliardaires américains qui avaient fait la Principauté et de ses trusts parfaitement anonymes leur havre fiscal. Au départ, l’informaticien de LGT ne voulait pas toucher le jackpot en se servant de son listing de clients, comptant 1400 noms. Embarqué lui-même dans une salle affaire d’escroquerie, il demande ainsi, dans un premier temps, au prince du Liechtenstein d’obtenir un nouveau passeport pour s’enfuir tranquillement.
Las, son stratagème échoue. Dès lors, le 24 janvier 2006 au matin, il envoie un simple e-mail aux services secrets allemands, leur révélant le contenu de sa «bombe». Le fisc germanique lui versera 4,2 millions d’euros. La grenade explose, les têtes tombent, dont celle du patron de La Poste allemande, Klaus Zunwinkel, qui avait planqué plus de 10 millions à Vaduz.
Aujourd’hui, et bien que sous le coup d’un mandat d’arrêt international, l’informaticien allemand vit sous haute protection. Selon un enquêteur français, «les services secrets allemands lui ont payé un nouveau visage, de nouveaux papiers, un nouvel avenir». En sera-t-il de même pour Antoine?
Elisabeth Eckert
TG