18 Décembre 2009
Jean-Pierre Elkabbach dans ses œuvres. Encore plus vrai que sa marionnette des Guignols de l’Info, une émission satirique de la chaîne de télévision française Canal Plus. Avec l’interview qu’il a réalisée de Sassou Nguesso le journaliste s’est surpassé. Vraiment honteux. Rien à voir avec son confrère Ivan Levaï qui, il y a une vingtaine d’années, avait eu le courage et la dignité, sur la même station de radio, de traiter comme il se doit un autre dictateur africain nommé Sékou Touré.
A un Sassou Nguesso fort aise, le sourire en coin, Elkabbach a lancé ce 17 décembre à l’antenne d’Europe 1 : « Les électeurs vous avaient fait perdre la présidence de la République. Plus tard après cinq années de traversée du désert les électeurs vous ont redonné le pouvoir. Si le Congo mise sur la démocratie tous les autres pays africains ne sont pas dans ce cas » (...)
Quarante mille morts d'une guerre civile oubliés, rien que cela. Oyez Congolais : en 1997 Sassou Nguesso n’est pas revenu au pouvoir suite à un coup d’Etat sanglant. Ces sont les électeurs, c’est vous les Congolais qui lui avez " redonné " le pouvoir suite à des élections. Une offense à nos morts, à la veille de la date anniversaire de cette autre guerre que l'invité d'Europe 1 a déclenchée contre les civils le 18 décembre 1998 !
Quel grand journaliste tout de même ce monsieur Elkabbach ! Après pareille interview comment ne pas passer de très bonnes fêtes de fin d'année !
Le reste de l’interview se passe de commentaire.
Sassou Nguesso depuis son retour par un coup d'Etat, déguisé en guerre civile sanglante, a porté la production forestière avec ses associés asiatiques, de près de 500 000 m3 en 1998, à près de 2,5 millions de m3 par an, ces dernières années. Mais, aiguillonné par M. Elkabbach, vous l'écouterez, il invoque les besoins des populations locales, les pauvres paysans, comme responsables de la déforestation dans son pays pour laquelle il se garde du reste de livrer le moindre chiffre.
Pas un mot sur les forestiers asiatiques, chinois, malaisiens… à qui il a accordé de gigantesques permis. En début d'année, pour compenser les effets de la crise, la chute des prix de vente du bois, il aurait même autorisé les entreprises forestières à couper 30% en plus de ce qui était convenu dans leurs permis. La responsabilité de la déforestation au Congo, d'après lui, c'est aussi le pillage depuis 100 ans, c'est-à-dire la colonisation…
Pas un mot des 10 millions d'hectares qu'il comptait confier à des fermiers sud-africains, et pour lesquels il faudrait raser la moitié des forêts existantes, sauf à être suspendus dans les airs.
Sassou en réalité, ce qu'il veut c'est du cash, et il se garde bien de dire le moindre mal sur la Chine, lorsqu'elle est le sujet d'une question. Toute sa fortune y serait-elle planquée ?
Quant à J-P Elkabbach, on se demande bien pourquoi jusque-là on ne lui décerne pas le prix Pulitzer. Il le mériterait. Mais le talent n'est plus reconnu de nos jours hélas. Le monde est injuste.
Suivre l'interview de Sassou par Elkabbach
A l’occasion du onzième anniversaire des violences ethniques que sous d’autres cieux on appellerait « Génocide », et dont ont été victimes les populations des quartiers sud de Brazzaville, en l’occurrence Bacongo et Makélékélé, n’ayant aucunement l’intention de remuer le couteau dans la plaie, je voudrais apporter ici mon témoignage véridique pour que des faits aussi macabres ne se reproduisent plus jamais dans notre beau pays le Congo que nous ont légué nos ancêtres car, ainsi que l’a si bien écrit notre compatriote Guy Menga, « l’oubli est mortel ».
Les crimes d’assassinat à l’échelle, d’assassinat délibéré, prémédité et planifié, bref le génocide ne peuvent être oubliés, quels qu’en soient les lieux, les temps et les auteurs. Nous les Congolais, nous avons le devoir envers les victimes de Bacongo et de Makélékélé de garder le souvenir de leur mort. Nous devons aussi nous souvenir de leur vie. Leur héritage doit nous aider à consolider la foi dans un avenir libre de tribalisme, de haine et de violence gratuite.
Il n’est pas trop tard, en tout cas, que ceux qui se sont empressés d’ordonner des commissions internationales d’enquête sur les crimes au Darfour, en Guinée - Conakry et à l’Est de la République Démocratique du Congo, le fassent pour ces crimes du 18 décembre 1998 dans les quartiers Sud de Brazzaville, avec des milliers de morts et plus de 400 000 déplacés.
Le peuple congolais a le droit de savoir. Car dire ou écrire des vérités, aussi désagréables soient elles à entendre ou à lire, est le meilleur moyen de surmonter les malentendus. La réconciliation passe par la vérité.
Le vendredi 18 décembre 1998, j’étais en train de siroter, chez moi au quartier de la Glacière, de la bière « Primus » avec un ami qui venait de Russie. Pendant que nous parlions de tout et de rien, nous entendîmes soudain du bruit et des tirs de coup de feu sporadiques. C’était aux environs de 12h30. Inquiet, je proposai à mon ami de vite rentrer chez lui au quartier Batignolles. Aussitôt fait, aussitôt dit. Je l’accompagnai alors vers l’Avenue de Brazza où nous trouvâmes un taxi aux environs du dispensaire des Adultes « Bissita ».
Je retournai ensuite chez moi, en courant, puisque les coups de feu continuaient à crépiter du côté du camp de la Milice « ZAB ». A la maison je trouvai, à ma grande surprise, notre femme de ménage qui y était revenue, faute de n’avoir pas eu de véhicule pour l’amener à Mfilou. Les coups de feu tant d’armes légères que d’armes automatiques augmentaient d’intensité ; et la nuit tombait. La veille, la fourniture de l’eau et de l’électricité avait été suspendue.
Toute la nuit, tous assis au salon, nous prions et écoutions RFI qui faisait état d’une confusion qui régnait à Brazzaville. Plus tard nous entendîmes Monsieur Bernard Kolelas, dernier Premier ministre de Pascal LISSOUBA, déclarer depuis Washington où il était en exil, que ses Ninjas contrôlaient la situation.
Toujours à la recherche d’informations fiables, mon père nous suggéra d’écouter Radio-Liberté, la radio fidèle à M. Sassou. Elle diffusait un reportage sur la situation de Bacongo suivi de la déclaration de M. François Ibovi, alors ministre de la Communication. Ce dernier déclarait avec arrogance et narcissisme que le gouvernement avait le contrôle de la situation et que les forces gouvernementales avaient mis en déroute les Ninjas de Bernard Kolelas. Il demandait en conséquence aux habitants de Bacongo, de Makélékélé et des environs de quitter les lieux en empruntant le couloir humanitaire ouvert à cet effet. Il affirmait aussi que ceux qui refuseraient d’en partir, seraient considérés ipso facto comme des Ninjas et seraient traqués et neutralisés, car Bacongo et ses environs seraient ratissés au millimètre carré. Inutile de vous dire que cette déclaration jeta en nous un grand émoi mélangé de peur, d’angoisse et de tristesse.
Le samedi 19 décembre aux environs de 6 heures du matin, nous entendîmes frapper violemment sur le portail de notre parcelle. Tout d’un coup, nous devînmes silencieux au point où l’on pouvait entendre une mouche voler. L’on frappa de nouveau plus violemment sur le portail. Aîné de ma famille, je pris mon courage et je sortis. Je vis alors debout devant le portail un jeune homme en tenue militaire, avec une perruque sur la tête, le visage badigeonné de charbon et de kaolin à l’instar des Peaux Rouges. Il portait deux armes automatiques Kalachnikov. Il nous invita, mes parents et moi, de sortir de la maison dans les cinq minutes. Son ordre fut exécuté. Il nous indiqua le couloir à suivre. Quelques instants après, nous nous retrouvâmes sur l’Avenue De Brazza, entre l’Ecole Joseph Nkéoua et l’église Notre Dame du Rosaire. Là, il s’était formé un bouchon où les Cobras, la milice de M. Sassou nous fouillaient au corps en nous injuriant en lingala : « Zoba mokongo. ». Tout jeune était taxé de Ninja. Automatiquement, on l’extirpait du cortège et on l’emmenait vers une destination inconnue.
Tout à côté le sol était jonché de deux cadavres dont celui d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, la boîte crânienne ouverte. Au carrefour des Avenues De Brazza et de l’OUA, je découvris un spectacle plus macabre : des corps allongés comme des bouts de bois et dans toutes les positions, soit avec leurs baluchons sur la tête, soit avec des enfants au dos... Vers le Centre culturel français, pendant que nous subissions les pires humiliations comme celles des filles violées devant leurs parents, un cobra s’approcha de nous pour nous réclamer une boîte d’allumettes. Et comme personne ne broncha, il décida illico de nous fouiller jusque dans nos parties les plus intimes, tout en menaçant de « faire la peau » à toute personne sur qui il découvrirait une boîte d’allumettes. Entendant cela, un jeune garçon de 12 ans lui tendit une boîte d’allumettes. Au lieu de prendre la prendre, le Cobra intima l’ordre à ce jeune d’aller de l’autre côté de l’avenue où était enroulé dans une mousse un cadavre et autour duquel bourdonnaient des mouches. Avec cynisme, le Cobra commanda au jeune garçon de brûler la mousse avec sa boîte d’allumettes. Je faillis devenir fou. Pendant ce temps, deux autres Cobras vinrent vers nous qui étions restés dans la queue. Ils extirpèrent un autre jeune de 25 ans environ et qui par malheur avait un crâne rasé. Il fut aussitôt taxé de Ninja. Ils le jetèrent par terre pour l’abattre. Aussitôt, sa femme avec son bébé à califourchon sur son dos, animée d’un courage extraordinaire, se jeta sur son mari et demanda aux cobras de les tuer tous les trois ensemble : elle, son mari et le bébé. Les cobras désemparés ne purent commettre leur forfait. Nous, à côté, poltrons et couards, regardions s ces deux scènes sans broncher. J’eus honte de moi-même et de notre lâcheté.
Nous continuâmes notre route, la honte et la peur dans l’âme, en laissant à chaque bouchon, pour ceux qui pouvaient encore avoir de l’argent avec eux, des sommes allant de 500 à 5000 francs CFA. Nous arrivâmes enfin au quartier Plateau des 15 ans où nous fumes accueillis par mon oncle paternel. La nuit, je ne pouvais fermer l’œil pendant quelques jours, mon esprit étant hanté par le spectacle macabre des cadavres que j’enjambai et de ces jeunes sans armes, abattus froidement, parce que soupçonnés d’être Ninjas ou de ces jeunes filles violées, aux cris et injures de « Zoba mokongo niama », loin des caméras et médias, au contraire de ce qui se passe aujourd’hui en Guinée-Conakry. Ce fut un véritable carnage, qualifié de « bavures » par les autorités actuelles. Les auteurs, bénéficiant de l’impunité et du parapluie d’on ne sait qui, courent toujours. Mais jusqu’à quand ?
M. Sassou Nguesso qui avait menacé de dénoncer ceux qui avaient déclenché la guerre du 5 juin 1997, lui qui se sent maintenant l’âme d’un écrivain, dénoncera certainement, à travers son prochain livre ou sa prochaine bande dessinée « le génocide du 18 décembre 1998 » et ceux qui l’ont commandité et planifié. Le peuple congolais en général et les veuves et les orphelins en particulier des quartiers sud de Brazzaville lui en seraient très reconnaissants.
Paul Nzonzi, témoin survivant.