12 Décembre 2009
Par Vincent Hugeux, Romain Rosso
AFP PHOTO JACK GUEZ / Soldats de la mission Licorne de l'armée française, en Côte d'Ivoire, en octobre 2005.
Dakar, Libreville... Le dispositif militaire français au sud du Sahara va-t-il se délester de l'une de ses bases historiques? La confusion entretenue par Paris traduit ses hésitations: comment combiner nouvelle donne géostratégique et repli en bon ordre?
Le plus aguerri des paras y perdrait son latin. Alors, chef, on la ferme, cette base? Et si oui, laquelle? Dakar (Sénégal), Libreville (Gabon), ou les deux? Réponse: aucune, du moins dans l'immédiat... Publié en juin 2008, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, bréviaire des orientations stratégiques pour les quinze ans à venir, préconise de concentrer le dispositif français en Afrique - 8000 hommes aujourd'hui, contre 30 000 à l'heure des indépendances - autour de "deux pôles, un pour chaque façade, atlantique et orientale". Et ce au nom du devoir d'adaptation à la nouvelle donne géopolitique, que traduit l'ouverture d'une nouvelle implantation bleu-blanc-rouge à Abou Dhabi (Emirats arabes unis). Quinze mois plus tard, au risque de brouiller les pistes, Hervé Morin jure n'avoir jamais souhaité le sacrifice d'un des sites subsahariens (voir l'entretien ici).
Audacieux: les conseillers élyséens ont phosphoré des semaines durant sur ce scénario. Il s'agissait alors de mettre en musique - militaire - la volonté de rupture d'avec la Chiraquie, affichée par un Nicolas Sarkozy fraîchement élu, ainsi que l'impératif de rigueur budgétaire. Tous déploiements africains confondus, la facture frôlait les 760 millions d'euros en 2007.
Partiront, partiront pas? Le chef de l'Etat et des armées devrait trancher dès le début de 2010. Plusieurs facteurs éclairent cette prudente inflexion. Les émeutes de Port-Gentil, survenues au lendemain de l'élection contestée, le 30 août, du Gabonais Ali Bongo, puis le chaos guinéen, rançon du carnage perpétré dans un stade de Conakry par les nervis de la junte au pouvoir, ont étayé le plaidoyer des avocats du statu quo. De même que la dérive autocratique du Sénégalais Abdoulaye Wade, invoquée mezza voce. Dès lors qu'il s'agit de protéger citoyens et intérêts français, mieux vaut être "sur zone" sans délai. Or, insiste un haut gradé, tout retrait serait irréversible.
Plus diffus, divers foyers d'instabilité militent en faveur du maintien de contingents prépositionnés: la frange est de la République démocratique du Congo, le Soudan, le Nigeria, et plus encore cette "zone grise" saharo-sahélienne, terrain de chasse favori des commandos d'Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi). Le Sud algérien, la Mauritanie, le nord du Niger et du Mali voient aussi transiter maints trafics, drogue sud-américaine, armes légères ou migrants clandestins.
D'autres arguments garnissent le paquetage des vétérans galonnés de l'outre-mer, parfois nostalgiques de la Coloniale: l'essor de la piraterie maritime ou les ambitions continentales des stratèges américains, chinois et russes. Sur un mode moins défensif, on vante les atouts complémentaires des deux bases. Pour Dakar, son statut d'unique accès à l'Atlantique et la proximité du nouveau front de la lutte antiterroriste. Au crédit de Libreville, sa tradition de tremplin aérien vers tous les théâtres de l'intérieur.
Ultime flèche dans le carquois des partisans du sursis: l'impréparation des troupes du continent censées occuper demain les espaces laissés vacants. Annoncée pour l'an prochain, la naissance de la Force africaine en attente (FAA) se fait... attendre. Sa brigade ouest, la plus avancée, ne verra pas le jour avant 2014. Or le parrain français se fait fort d'accompagner la montée en puissance de ce contingent panafricain de 15 000 soldats, appelé à prévenir et circonscrire les conflits.
Paris inscrit sa démarche dans la logique de partenariat et de désengagement graduel amorcé par le programme Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix). "La France, claironne ainsi Nicolas Sarkozy en février 2008 au Cap, de
Pour dissiper les suspicions nourries par des décennies d'ingérence, l'ex-puissance coloniale tient à agir désormais de concert avec les frères d'armes africains et européens. Quitte à émettre des signaux contradictoires. Dissous en juin, le 43e bataillon d'infanterie de marine (Bima) a disparu du paysage ivoirien. Au Tchad en revanche, l'opération Epervier va sur ses 24 ans. Age respectable pour un déploiement temporaire, voué à l'origine à contenir les appétits libyens.
L'ex-puissance coloniale émet des signaux contradictoires
Mais voilà: rupture ou pas, Paris rechigne à se priver d'un tel "porte-avions terrestre" au coeur du continent; et réserve au maître de N'Djamena, Idriss Deby Itno, un traitement de faveur. Plus question, jure-t-on à l'Elysée, de voler au secours de régimes aux abois. C'est à s'y méprendre: assiégé en février 2008 par des colonnes rebelles, Deby devra autant son salut au soutien français qu'à ses talents guerriers.
Au Cap, Nicolas Sarkozy a promis la "remise à plat" d'accords de défense obsolètes, souvent assortis de "clauses secrètes" portant sur la fourniture d'armements ou l'assistance due aux chefs d'Etats alliés en butte à des troubles intérieurs.
AFP PHOTO / PHILIPPE HUGUEN
Force européenne à dominante française déployée au Tchad et en République centrafricaine, en lisière du Darfour soudanais, afin de protéger les civils et de prévenir toute contagion du conflit, l'Eufor a été relayé depuis mars 2009 par la Minurcat, mission onusienne.
Deux des huit pays concernés ont déjà finalisé une révision négociée: le Togo en mars, puis le Cameroun en mai. Le secrétaire d'Etat à la Coopération, Alain Joyandet, signera au gui l'an neuf un pacte rénové avec la République centrafricaine et Djibouti. Même si, s'agissant de l'ancien territoire des Afars et des Issas, assidûment courtisé par Washington, on discute encore du régime locatif de la base française et du devenir de l'hôpital militaire Bouffard.
Le dossier gabonais, lui, aurait avancé à la faveur de la récente escale élyséenne d'Ali Bongo, lequel fut dix années durant ministre de la Défense de son défunt père. Quant au cas ivoirien, plombé par un contentieux bilatéral, il attendra la tenue d'un scrutin présidentiel maintes fois reporté depuis quatre ans.
Ultimes étapes, les Comores et le Sénégal. Chargé d'orchestrer le toilettage des accords, l'ambassadeur François Ponge a eu droit, fin novembre à Dakar, à deux longues journées d'âpres palabres. "Ça coince, confie un témoin. Wade se montre très gourmand. Au fond, seul l'enjeu foncier intéresse nos amis sénégalais. Ils veulent récupérer l'emprise du camp français de Bel-Air, et font donc monter les enchères. Pourquoi faudrait-il se coucher?"
En Afrique, voilà près d'un demi-siècle que la France feint de partir pour mieux rester. Et si ses militaires restaient pour partir mieux?
vant le Parlement sud-africain, n'a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique." Mieux, ses soldats doivent "en priorité" aider le continent à "bâtir son propre dispositif de sécurité collective". Effort de longue haleine...
L'EXPRESS