2 Mai 2013
Après un nouvel interrogatoire du « principal suspect » Daniel Mukalayi à l’audience du mardi 30 avril à l’ex-prison centrale par les juges de la Haute cour militaire, toutes les parties sont d’avis que le procès en appel des assassins présumés de Floribert Chebeya et de son chauffeur Fidèle Bazana « entre dans le vif du sujet » à la prochaine audience fixée au mardi 7 mai.
« Je confirme que j’étais directeur adjoint du service de renseignement de la police », a affirmé le colonel Mukalayi.
Il s’est d’« un interrogatoire laborieux où la Cour essaie de bien comprendre comment s’est organisé le rendez-vous fatal de Floribert Chebeya, le piège dans lequel il est tombé fin-mai début-juin 2010 », selon RFI.
« Il y a plus de chances que la vérité éclate au grand jour et que les vrais prévenus soient pointés. Vous pensez que les accusés vont pouvoir dire des vérités qu’ils n’ont pas dites jusqu’à maintenant ? Oui, parce qu’ils se sentiront coincés. Ils diront : nous ne mourrons pas seuls, il faut qu’on cite tous les commanditaires », ont déclaré les avocats des parties civiles.
« Nous attendons l’acquittement pur et simple de notre client, parce que nous estimons qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments. Et même l’instruction d’aujourd’hui l’a démontré : il n’y a pas suffisamment de preuves que notre client est coupable en ce qui concerne le meurtre de Floribert Chebeya », ont indiqué à la presse les avocats des accusés.
L’UE « préoccupée par la lenteur de la procédure judiciaire »
Le 16 avril à Kinshasa, la délégation de l'Union européenne a délivré une déclaration en accord avec les chefs de mission européens en RDC dans laquelle elle disait être « préoccupée par la lenteur de la procédure judiciaire ».
En fait, depuis que l’appel avait commencé, le fond de l’affaire n’a jamais été abordé.
Ainsi, ayant « pris acte avec satisfaction de la reprise du procès en appel des assassins présumés de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, le 9 avril dernier, après une interruption depuis le 4 décembre 2012 », la délégation de l’UE a justifié sa préoccupation par le fait que la Haute cour militaire soulignait le 23 octobre 2012 « le devoir de vérifier par toutes voies de droit, les révélations qu’aurait faites le commissaire principal adjoint Paul Mwilambwe et relayées par le journaliste Thierry Michel ».
« La délégation de l'Union européenne réitère avec insistance sa demande que toute lumière soit faite sur les circonstances du décès de ces défenseurs des droits de l'homme et que toutes les personnes responsables de ces crimes soient identifiées et jugées, et ce, dans un délai raisonnable », disait la déclaration.
A cette occasion, elle a rappelé « sa détermination à suivre avec attention le déroulement du procès jusqu’à son terme ».
Le procès Chebeya a longtemps été freiné par des questions procédurales, dont la dernière portait sur la régularité d’une convocation adressée aux accusés en fuite en termes de « la convocation a-t-elle été faite à la bonne date, par rapport à la décision de justice ? ».
A la question ce savoir si « on est en train de perdre encore du temps dans ce procès Chebeya, qui s’éternise désormais », le coordonnateur des parties civiles avait dit « non ».
« Les moindres détails de la procédure doivent faire l’objet de la plus grande attention, car ils risquent de servir à casser le procès à la Cour suprême », avait estimé Me Joseph Mukendi
A contrario, la défense des policiers accusés se demandait « si les parties civiles ne sont pas en train de faire durer les débats », au motif que « ce procès leur sert de fond de commerce ».
Chronologie de l’affaire Chebeya en 15 dates
« Figure de proue de la défense des droits de l’homme en République démocratique du Congo, Floribert Chebeya a été assassiné et son corps retrouvé à Kinshasa en juin 2010. Fidèle Bazana, son collègue et chauffeur à la Voix des sans voix, a été déclaré mort par un juge mais son corps n’a jamais été retrouvé », rappelle Radio Okapi dans une « Chronique de l’affaire Chebeya en 15 dates ».
2 juin 2010
Radio Okapi annonce la mort de Chebeya.
3 juin 2010
L’inspecteur provincial de la police de la ville de Kinshasa, le général Jean de Dieu Oleko, indique dans un communiqué que le corps de Floribert Chebeya a été retrouvé sur le siège arrière de sa voiture avec des ongles, des mèches des femmes et un paquet de préservatifs.
5 juin 2010
Le président Joseph Kabila préside, à Kinshasa, une réunion extraordinaire du Conseil supérieur de la défense au cours de laquelle le général John Numbi Banza Tambo, inspecteur général de la Police nationale congolaise (PNC) est suspendu à titre conservatoire « pour permettre un déroulement serein de l’enquête diligentée sur la mort de Floribert Chebeya ».
Son adjoint, le général Charles Bisengimana est désigné pour exercer à titre intérimaire les fonctions d’inspecteur général de la Police nationale congolaise.
7 juin 2010
Le ministre congolais de l’Intérieur Adolphe Lumanu donne son accord pour que le corps de Floribert Chebeya soit autopsié par une équipe de médecins néerlandais composée d’un légiste et de ses assistants.
10 juin 2010
Le procureur général de la République Flory Kabange Numbi accrédite la thèse de meurtre et non d’assassinat. « Aujourd’hui, je voudrais porter à votre connaissance que les éléments obtenus à ce jour tendent à montrer qu’il s’agirait d’un meurtre », affirme-t-il.
23 juin 2010
Le procureur général de la République boucle son enquête et transmet le dossier Chebeya à l’auditorat militaire qui, à son tour, va ouvrir une enquête. Il dit avoir décelé les indices de culpabilités sur les relevés d’écoute téléphonique et le rapport des légistes hollandais.
26 juin 2010
Le corps de Floribert Chebeya est inhumé au cimetière de Mbenseke Futi après une messe d’action de grâce en la cathédrale Notre Dame du Congo. Au cours de son homélie, l’archevêque de Kinshasa, Monseigneur Laurent Monsengwo, condamne toute atteinte à la vie humaine, avant d’exiger de l’Etat congolais une enquête sérieuse pour trouver les coupables et les punir.
9 juillet 2010
« L’autopsie effectuée le 11 juin sur le corps de Floribert Chebeya n’a pas pu démontrer avec certitude la cause du décès. Les observations sont fortement en faveur d’une cause primaire impliquant le cœur, car des anomalies préexistantes au niveau du muscle cardiaque ont été constatées», indique un communiqué conjoint du parquet général de la République et de l’ambassade du Royaume des Pays-Bas.
11 juillet 2010
Trois jours après le rapport d’autopsie, La Voix des sans voix demande « l’arrestation immédiate » du général John Numbi. Dix mois plus tard, elle réitérera cette demande avec d’autres ONG congolaises. En vain.
14 octobre 2010
L’auditeur général près la Haute cour militaire estime que les éléments de preuve recueillis dans le cadre de l’instruction pré juridictionnelle conduite par son bureau du 24 juin au 8 octobre 2010 sont suffisants pour justifier le renvoi du dossier judiciaire dans l’affaire Floribert Chebeya devant le juge.
12 novembre 2010
Le procès s’ouvre à la Cour militaire de la Gombe à Kinshasa. A la barre : 8 prévenus tous policiers dont le colonel Daniel Mukalay, chef des services spéciaux de la police. La salle exiguë est bondée de monde. Les avocats de la partie civile demandent et obtiendront la délocalisation de ce procès à la prison de Makala.
Le général John Numbi et l’inspecteur provincial de la police de Kinshasa, le général Jean de Dieu Oleko sont identifiés comme des renseignants.
19 novembre 2010
Annie Chebeya, veuve de Floribert Chebeya, adresse une lettre ouverte au chef de l’Etat congolais Joseph Kabila. «Ce que je demande au président de la République, c’est de faire ce qu’il m’avait promis. Il m’avait promis qu’il allait suivre le procès de Floribert et faire tout pour qu’on arrête les assassins de Floribert et de Bazana Fidèle et qu’on puisse les juger et les sanctionner», écrit-elle.
7 février 2011
L’inspecteur provincial de la police de la ville de Kinshasa, le général Oleko comparaît devant la cour militaire à la prison de Makala. Il est entendu sur le premier communiqué officiel qu’il avait publié le 2 juin 2010 annonçant officiellement la mort de Floribert Chebeya. Confronté à son officier de renseignements, le général accepte de rectifier son communiqué et élaguer la mention mensongère selon laquelle aucune trace visible de violence n’a été constatée sur le corps sans vie de Chebeya lorsqu’il a été découvert.
17 mars 2011
L’état civil a établi la veille le certificat de décès de Fidèle Bazana, le chauffeur et militant des droits de l’homme au sein de la VSV qui avait accompagné feu Floribert Chebeya à son rendez-vous du 1er juin 2010 avec l’inspecteur général de la Police nationale congolaise, le général John Numbi. Au cours de l’audience du 17 mars, la veuve Bazana demande à l’Etat congolais de lui restituer le corps de son mari pour organiser les obsèques.
23 juin 2011
Le verdict tombe. Le colonel Daniel Mukalayi, accusé principal dans le procès de l’assassinat de Floribert Chebeya de la VSV et de son chauffeur Fidèle Bazana, est condamné à la peine de mort par la Cour militaire de Kinshasa et destitué de la Police nationale congolaise. La même peine est infligée à trois autres co-accusés dans cette affaire. Un policier est condamné à l’emprisonnement à perpétuité. Trois sont acquittés.