Immigration: "5 000 dollars pour un visa ?!"

27/03/2010 13:34

FOCUS SUR L'ACTUALITÉ

Immigration: "5 000 dollars pour un visa ?!"

Londres et Bruxelles font campagne à Kinshasa contre l'émigration illégale. Le nombre de demandes pour un visa belge a fortement baissé.

Quoi ?! Cinq mille dollars pour obtenir un visa ?" La jeune Kinoise, allure moderne et soignée, hausse les épaules sur l’écran de télévision. Antenne A, une des nombreuses chaînes de la capitale congolaise, diffuse une émission destinée à décourager l’émigration illégale vers l’Europe.

Mêlant "sitcom", chansons, témoignages d’anciens immigrés illégaux en Grande-Bretagne décrivant la difficulté de survivre sans papiers, archives montrant des cadavres de candidats à l’émigration africains, abandonnés dans le désert par des "passeurs" escrocs ou "boat-people" , émergeant à demi-morts d’une embarcation trop frêle pour affronter la haute mer, le programme est financé par la Grande-Bretagne.

Celle-ci dispose de fonds importants pour cette campagne et espère encourager la collaboration des autorités congolaises au renvoi chez eux des illégaux arrêtés en territoire britannique. Quelque 5000 Congolais ont émigré au pays de Sa Gracieuse Majesté, contre 40 000 en Belgique et plus de 100 000 en France.

La Belge Katarina Smits, de l’Office des étrangers, est installée à Kinshasa pour apporter aux Britanniques un appui dans cette campagne de sensibilisation, doublée de courts spots décourageant l’immigration clandestine en Belgique. En 2006, la jeune Belge avait représenté l’Office des étrangers dans la capitale congolaise, afin d’y mener une campagne contre le mythe congolais de l’eldorado européen où l’émigré serait payé à ne rien faire et vivrait comme un roi.

Paraître étant très important au Congo, ce mythe est entretenu par les Congolais de Belgique, désireux d’afficher vis-à-vis des leurs, restés au pays, leur réussite à "Mputu" (l’Europe), même si elle est illusoire. Nombre de familles qui y sont installées envoient au pays des cassettes vidéo qu’elles ont tournées, les mettant en scène dans des vêtements parfois spectaculaires, à côté d’une voiture rutilante, d’appareils hi-fi dernier cri ou des plus grosses créations de l’électro-ménager. Ces images entretiennent à Kinshasa l’illusion que la réussite matérielle est à portée de visa. Entretenir cette image coûte pourtant aux Congolais de Belgique les yeux de la tête puisque c’est aux parents d’Europe que la famille fait appel en cas de besoin d’argent important (deuil, mariage, etc.). Et il n’est pas exceptionnel qu’un Congolais de Belgique ayant l’occasion de voyager à Kinshasa ne signale pas son arrivée aux siens, de peur que de nombreux parents lui demandent une aide financière ou se massent dans la parcelle de sa famille dans l’espoir d’être invité à un repas de fête.

"Depuis 2006, le nombre de demandes d’asile congolaises à la Belgique a considérablement diminué", explique Katarina Smits. "Mais nous ne savons pas si c’est dû à cette campagne ou au durcissement de la politique belge en la matière..."

Notre pays a en effet multiplié les contrôles. L’ambassade belge à Kinshasa entretient ainsi une personne à temps plein pour vérifier ce qui peut l’être des déclarations des demandeurs de visa. En outre, depuis deux ans, les empreintes digitales de chaque demandeur de visa sont enregistrées à l’ambassade "pour éviter qu’après avoir essuyé un refus, il revienne avec une autre demande". Elles sont envoyées à l’aéroport de Zaventem, qui vérifie que les empreintes du voyageur sont bien celles du demandeur de visa auquel ce dernier a été accordé. Enfin, depuis peu, l’Office des étrangers à Bruxelles vérifie si les empreintes des demandeurs d’asile ne sont pas enregistrées comme celles d’un demandeur de visa - ce qui prouverait qu’il cherche à immigrer et n’a pas besoin de la protection qu’offre l’asile, réservé aux persécutés.

"Mais avec les cinq mille dollars que te réclame le trafiquant, tu peux ouvrir un commerce ici!", s’exclame avec bon sens l’actrice congolaise sur le petit écran.

"Les escrocs au visa prolifèrent ici", explique Mme Smits. "Les candidats sont nombreux à les croire quand ils assurent travailler en liaison avec une ambassade européenne. A tel point qu’il n’est pas rare qu’ils viennent à l’ambassade pour s’enquérir de leur visa lorsque l’escroc s’est évanoui dans la nature. En vain bien sûr".

L’émission encourage les candidats au voyage à choisir la voie légale. Mais cela ne suffit pas à régler le problème d’immigration clandestine en Europe, explique Katarina Smits. "Outre la voie légale, il faut aussi respecter le contrat : rentrer au Congo après l’expiration du visa. En Belgique, le problème est surtout celui des gens qui restent" , explique-t-elle. Exemple emblématique : un journaliste congolais qui l’avait appuyée durant sa première campagne en confessant plubliquement la manière dont il manipulait l’information en envoyant depuis Bruxelles, à des télévisions kinoises, des émissions vidéo célébrant la réussite - hollywoodienne mais factice - d’émigrés congolais, a demandé et obtenu des visas de tourisme pour ses enfants - "qui ne sont jamais revenus..."

Pour l’heure, une pièce de théâtre destinée à être jouée à Masina et Ndjili, des communes pauvres de Kinshasa qui fournissent nombre de candidats à l’émigration, est en cours de rédaction.

Mme Smits se propose également d’obtenir le concours d’"Eglises du réveil", sectes protestantes qui attirent les foules et où sont courantes les prières collectives pour l’obtention d’un visa européen. Ne vont-elles pas, elles aussi, demander à être récompensées en visas ? Sourire et haussement d’épaule: "Tout le monde, ici, en demande, les grands comme les petits, les autorités comme les personnes privées. On doit gérer ça..."
Marie-France Cros